La Biologie du Lapin
par François LEBAS
Directeur de Recherches honoraire de l'INRA
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Biologie et Production

 
Dans ce chapitre de conclusion , sont réunies quelques réflexions sur l'utilisation des connaissance que nous avons de la biologie du Lapin, pour valoriser au mieux son potentiel de production, ou plus simplement son entretien en bonne santé.
    1. Synthèses et production
    2. Où finit la physiologie et où commence la pathologie ?
    3. Le lapin est-il un animal "fragile" ?
    
    

 

 1. Synthèses et production  

L'objectif principal d'un éleveur est de gagner sa vie en achetant ou en produisant des matières premières alimentaires et en les transformant ensuite en lapins qu'il souhaite vendre. Pour cela il va devoir utiliser deux grandes fonctions : la nutrition qui permet aux animaux de transformer les produits végétaux en produits animaux et la reproduction qui lui permet de disposer de nouveau animaux pour effectuer cette production puisqu'il faut sacrifier l'animal producteur pour "récolter" la production.

  En ce qui concerne la nutrition, l'objectif est de produire le plus possible d'une viande correspondant à la demande du marché, avec le minimum d'aliment. Or l'une des caractéristiques du fonctionnement digestif du lapin est une mauvaise transformation quantitative des fibres alimentaires telles que les pectines, les hémicelluloses et surtout la cellulose. Effectivement 60 à 80% des fibres alimentaire se retrouvent dans les déjections après avoir traversé le tube digestif. La tendance naturelle pour améliorer le rendement de la transformation végétal => viande de lapin, serait de réduire, voire de supprimer, cette fraction de l'aliment très mal valorisée, surtout quant on a calculé que les fibres totales représentent près de la moitié de la ration quotidienne des lapins.
 Le lapin a besoin de fibres dans son alimentation, mais celles-ci sont mal valorisées en terme de nutrition 

Malheureusement pour l'éleveur qui souhaite faire de la bio-transformation de végétaux en produits animaux avec un bon rendement, le lapin ne supporte pas d'avoir une alimentation sans fibres. Pour la santé digestive des lapins il leur FAUT de FIBRES. L'équilibre entre "suffisamment de fibres" pour assurer un bon état de santé et "pas trop de fibres" pour assurer une bonne transformation et un bon rendement économique est très délicat à trouver. C'est une partie importante du travail des nutritionnistes. A la date d'aujourd'hui il est impossible de donner avec précision la quantité et la qualité des fibres qui pourraient garantir l'équilibre optimum santé-productivité. Des progrès énormes ont été réalisés au cours des 20 dernières années, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. A cela il y a plusieurs raisons dont certaines sont strictement liées à la biologie du lapin. En effet lorsque des troubles digestifs apparaissent en réponse à un faible taux de fibres, leur ampleur et leur fréquence dépendent beaucoup des autres paramètres définissant l'environnement des lapins et tout particulièrement de leur statut sanitaire initial. On ne peut donc pas définir un apport optimum de fibres dans l'absolu, cet optimum dépend des autres paramètres de l'élevage.

 

 

Des protéines de bonne qualité sont nécessaires

 

 

 

 

 

 

Le lapin en croissance a un métabolisme azoté très intensif

 

Le second volet de la nutrition concerne la nutrition azotée. En effet, transformer des végétaux en viande, cela veut dire essentiellement transformer des protéines végétales en protéines animales. En effet, contrairement aux ruminants, les lapins ne peuvent valoriser de l'azote non protéique comme de l'urée par exemple, que dans des cas extrêmes, proches de la disette. Or nous venons de voir que l'intérêt d'un éleveur est d'avoir un bon rendement c'est à dire être plus proche de la pléthore que de la disette. Les protéines végétales que lapin doit transformer doivent avoir des acides aminés en un certain équilibre aujourd'hui relativement bien connu.

En biologie, comme dans beaucoup d'autres domaines, la transformation d'un produit ne se fait jamais sans "déchets". En terme de protéines le déchet majeur s'appelle d'abord ammoniac puis "urée" et ce sont le foie puis les reins qui DOIVENT éliminer ces déchets. La présence de ces déchets est une perte économique pour l'éleveur, mais surtout une charge pour l'animal. Plus l'animal fixe des protéines sous forme de viande, plus grande est la quantité de déchets à rejeter dans le milieu extérieur. Plus la quantité fixée est forte par rapport à la masse déjà existante, plus intense sera le métabolisme, et donc plus grande sera la quantité des déchets que l'organisme devra éliminer. A titre d'exemple le tableau 18 donne une idée de l'intensité du métabolise d'un lapin en croissance par rapport à celui d'un taurillon. Il y apparaît clairement que l'intensité du métabolisme d'un lapin est 4 fois plus important que celui d'un taurillon. Cela veut dire que chaque gramme de lapin doit éliminer environ 4 fois plus de déchets qu'un gramme de taurillon. Il est clair qu'un lapin ayant un métabolisme aussi intense supportera mal les écarts par rapport à l'optimum. Pour prendre une image, le lapin serait plutôt une voiture de course qu'un tracteur agricole, et chacun sait que le moindre défaut de réglage ou de conduite peut mener très rapidement à la catastrophe.

 

  
Tableau 18 : Intensité relative de la croissance pondérale d'un taurillon et d'un lapin en croissance
Taurillon
LAPIN
· poids vif
200 kg
1 kg
· gain de poids par jour
2 kg
40 g
· gain de poids relatif par jour
1 %
4 %
 Une lapine en reproduction a un métabolisme 2 à 3 fois plus intensif que celui de la plus productive des vaches laitières 
Nous avons vu plus haut que la deuxième grande fonction que l'éleveur doit exploiter est la reproduction. Il est bien, connu que le lapin est une espèce prolifique, et cette caractéristique est largement exploitée pour la production. La raison principale qui incite l'éleveur à demander aux lapines une reproduction intensive, est la nécessité économique d'amortir sur une production la plus grande possible, les charges "fixes" que représentent les reproducteurs, principalement les femelles. De ce fait depuis 30 ans on a cherché à valoriser le mieux possible les caractéristiques reproductives de cette espèce : nombreux descendants par portée, nombreuses portées par an et aussi maîtrise complète par l'éleveur des rythmes de reproductions (intérêt fondamental ici de l'ovulation provoquée). Compte tenu des systèmes de production mis en place, un lapereau sacrifié 10 semaines après sa naissance (soit 100 jours après sa conception) a passé 52% de sa vie totalement aux dépens de sa mère (31 jours de gestation + 21 jours d'allaitement strict) auxquels il faut ajouter 10 à 12% de sa vie en dépendance partielle. Par ailleurs, en raison de la prolificité et du chevauchement au moins partiel des périodes de gestation et de lactation il s'avère qu'une lapine reproductrice a un métabolisme à peu près 2 à 3 fois plus intense qu'une vache laitière à haute production. Les problèmes d'intensité de métabolisme évoqués plus hauts se posent donc à elle comme ils se posent aux lapereaux en croissance.
 Si l'alimentation d'une lapin reproductrice est insuffisante elle peut soit en mourir, soit s'arrêter de reproduire, mais on ne peut pas toujours le prévoir Toutefois contrairement aux jeunes en croissance, la lapine a un moyen propre pour réduire l'intensité de son métabolisme : elle cesse momentanément ou définitivement de se reproduire. Ce recours, elle ne le met normalement en œuvre que lorsqu'elle a "épuisé" ses autres capacités adaptatives. Or un constat a été fait depuis plusieurs années sur les difficultés de reproduction des lapines à la suite de la première portée: un certain nombre de lapines arrêtent de se reproduire et certaines meurent brutalement comme cela avait été décrit il y a déjà longtemps lorsqu'il y a un déséquilibre trop flagrant entre la demande énergétique de production et les dépenses. Une attention toute particulière est donc portée actuellement sur les moyens de remédier au déséquilibre entre les apports alimentaires et les dépenses chez les lapines au cours des toutes premières portées. Pour améliorer l'efficacité de recherches sur la mise en place et la valorisation des réserves corporelles, des efforts ont d'ailleurs été réalisés pour estimer la composition corporelle d'une même lapine plusieurs fois rapprochées. Ces méthodes modernes font appel désormais par exemple à la tomographie aux rayons X ou à la modification d'un champ électrique en présence d'un animal, méthode dite TOBEC, pour "Total Body Electrical Conductivity".
 

2. Où finit la physiologie et où commence la pathologie ?

 

 

 

 

 

Savoir où commence la pathologie est souvent déterminé par la "qualité" de nos connaissances

 

Souvent la limite entre variations physiologiques et déviations pathologiques est difficile à apprécier. En effet, en fonction de l'environnement une même situation peut être jugée comme faisant partie du "normal" ou du "pathologique". Cela dépend aussi beaucoup de celui qui apprécie la situation. Par exemple quand un auteur conclut qu'il ne faut pas faire reproduire les lapines car cela met leur squelette en situation "anormale" en raison de la forte déformation de la colonne vertébrale et de la scoliose qui lui est associée (Drescher, 1996) les éleveurs croient rêver: Aucune espèce ne peut survire si elle ne se reproduit pas ! A quoi pensait donc cet auteur en écrivant cela ? En fait cet auteur un peu rapide à pourchasser les "productivistes", confond l'usage d'une alimentation insuffisante en calcium avec une pathologie consécutive à la reproduction elle-même. Là se trouve tout le problème de la pathologie liée à la nutrition : quand l'éleveur ne permet pas à l'animal de couvrir les dépenses correspondant à sa physiologie, on peut estimer qu'il y a situation "pathologique", mais à une condition, c'est que l'on sache que cette couverture est possible. Or Drescher par exemple a osé publier en 1996 sur la déminéralisation des os sans même penser à se préoccuper de la composition de l'aliment utilisé. Ne savait-elle pas que l'on peut nourrir les lapines de manière équilibrée "aussi" dans les systèmes d'élevage en cages. Elle a donc considéré comme "pathologie liée la reproduction" ce qui n'était qu'une erreur humaine dans le choix et la composition des aliments.

La situation n'est cependant pas toujours aussi simple. Ainsi, quand en 1967 Adams écrit qu'une lapine ne peut conduire simultanément une gestation et une lactation que si elle allaite moins de 4 lapereaux, il considère cette situation comme "physiologique" et caractéristique de l'espèce. C'était l'état objectif des connaissances de l'époque. Or nous savons depuis, que ces lapines expérimentales étaient en carence énergétique et azotée (déséquilibre des acides aminés), donc dans une situation qui serait jugée "pathologique" aujourd'hui. Ce qui a été jugé en 1967 comme une situation physiologique normale est devenu moins de 20 ans plus tard, une situation pathologique, simplement parce que nos connaissances se sont améliorées

  Dans le même ordre d'idée, il y a 10 ans encore, la majorité des éleveurs et de ceux qui les encadraient, considéraient comme physiologiques les pertes de 5 à 7% des lapereaux nés vivants, observées au cours de la première semaine de vie: il n'y avait aucun symptôme anormal en dehors de la relative vacuité de l'estomac, aucun agent pathogène identifiable. Personnellement, je disais "c'est l'élimination naturelle de ceux qui ne sont pas assez astucieux pour trouver une tétine au bon moment". Or les travaux récents conduits sur les relations entre la mère et ses jeunes ont permis de démontrer que ces pertes sont dues en majeure partie à une sous-consommation de lait au moment de la naissance, très probablement en relation avec la quantité phéromone émise par la mère et permettant aux lapereaux de repérer correctement les tétines.
  

Pour trouver la limite entre pathologique et physiologique on peut tenter de déterminer la variabilité courante du ou des critères concernés et considérer comme en situation pathologique un individu ou groupe d'individus qui s'éloigne de plus de 3 écart-types de la moyenne générale. Cette méthode ne doit cependant servir que de système d'alarme. En effet on ne connaît pas toujours avec précision la moyenne et la variabilité du critère considéré, ni surtout l'ensemble des facteurs qui peuvent faire varier la moyenne mais aussi la variabilité. On doit aussi garder à l'esprit l'exemple de l'expérimentation de Adams mentionnée plus haut : ce qui était physiologique peut devenir pathologique simplement parce que un jour on connaît mieux la physiologie du lapin.

 

 3. Le lapin est-il un animal "fragile" ? On entend souvent dire "les lapins sont des animaux fragiles, ils meurent à la première occasion". Qu'y a-t-il de vrai dans cette affirmation ?
Tout d'abord il faut considérer que l'un des intérêts majeurs du lapin est sa prolificité, or celle-ci n'est pas le fruit du pur hasard. Dans la nature, les espèces sont prolifiques pour compenser rapidement des pertes importantes liées soit à des prédateurs particulièrement actifs, soit à un milieu fluctuant ayant des périodes fastes et néfastes, soit à une fragilité particulière. S'il existe des sujets fragiles et d'autres moins fragiles, la sélection naturelle élimine rapidement les sujets les plus fragiles et seuls les plus résistants survivent et se reproduisent, ce qui élimine l'hypothèse d'une prolificité associée à une fragilité particulière. Le rôle des prédateurs dans le stimulation de la prolificité est possible mais peu probable. Il est beaucoup plus vraisemblable que le lapin soit devenu prolifique pour compenser les fluctuations climatiques méditerranéennes (l'Espagne est son principal pays d'origine rappelons-le).
 Les mortalités constatées dans l'élevage du Lapin sont similaires à celles observées dans l'élevage du Porc En fait qu'en est-il de la "fragilité" des autres mammifères prolifiques.? Le seul exploité à des fins de production est le porc, qui ne passe pas pour particulièrement fragile. Or l'étude des résultats de gestion technique des élevages porcins en France pour l'année 1998 montre que les 6 meilleurs élevages français de naisseurs-engraisseur ayant plus de 200 truies (sur 631 élevages) ont perdu 15,8% des porcelets nés totaux avant le sevrage et 5,0% de porc sevrés avant l'abattage. Pour les 14 meilleurs élevages de 100 à 200 truies sur 1011, les chiffres équivalents sont de 14,9% et 4,8% , et pour les 10 meilleurs élevages ayant moins de 100 truies sur 365 élevages, ils sont de 15,8% et 3,9%. Cela veut dire que les meilleurs éleveurs de porc perdent environ 20 à 21% % de leurs porcelets entre la naissance et la vente. La moyenne se situe aux environs de 25% soit 18,5% avant sevrage et 6,5% après. Or en considérant le quart supérieur des élevages de lapin suivi par la gestion technique française pour la conduite en bande, soit 367 élevages et pas seulement les 10 meilleurs, on constate que pour la même année les pertes naissance-vente chez les naisseurs engraisseurs de lapins ont été de 26%. La conclusion s'impose d'elle-même, le lapin n'est pas plus fragile que le porc, pourtant réputé résistant.
 Chez le Lapin tout va vite 

Alors d'où vient cette impression de fragilité ? En fait, elle correspond à un décalage dans les vitesses de la biologie des espèces. Nous vivons sur un espoir de vie d'environ 75 à 80 ans. Dans la nature l'espoir de vie d'un lapin est nettement inférieur à une année; dans un élevage si on ne le sacrifie pas, il peut espérer vivre 4 ou 5 ans. Autrement dit le lapin vit 20 à 80 fois plus vite que l'homme. Cela veut dire que dans une vie d'homme il est logique de voir mourir une multitude de lapins. Par ailleurs, intrinsèquement le lapin vie rapidement, intensément: il ne lui faut que moins d'une seconde pour éjaculer, tout juste un mois pour conduire une gestation à son terme, à peine deux mois pour passer de 50 g à 2500 g. Son métabolisme est 3 à 4 fois plus intense que les plus intensifs des bovins. Et surtout ses manifestations pathologiques elles aussi sont rapides: si l'éleveur n'est pas attentif, les lapins sont morts avant qu'il les ait vus malades. Ce n'est pas que le lapin soit fragile, c'est seulement qu'il va vite, très vite. Alors souvent l'éleveur, le vétérinaire, n'ont pas le temps d'intervenir avant que la maladie soit arrivée au stade de non-retour. Alors définitivement, non, le lapin n'est pas un animal plus fragile que les autres.

 

   Une partie de l'impression de fragilité vient aussi de la qualité des éleveurs de lapin : comme tout se passe vite et qu'ils ont beaucoup de lapins, ils notent, enregistrent leurs résultats, bref ce sont de véritables petits comptables. Comme tout va vite, dans une année une lapine aura presque terminé sa carrière soit 120 jours avant mise en reproduction + 300 jours de vie productive moyenne, comme une poule pondeuse. L'éleveur aura comptabilisé la production et mesuré les pertes fait ses calculs et il pourra donc fournir des chiffres fiables. Les éleveurs de porc sont dans une situation similaire; mais avant d'écrire ce chapitre j'ai tenté de trouver les chiffres de mortalité moyenne d'un élevage bovin de naisseur-engraisseur. Je n'y ai pas réussi : ce type d'information n'est pas disponible.
 En moyenne dans sa carrière, une lapine conduit à terme plus de gestations qu'une truie ou qu'une vache 

Pour comparer les espèces, on peut comptabiliser les animaux nés arrivant au stade d'abattage pour les espèces exploitées pour la production de viande. C'est ce que nous avons fait pour comparer lapins et porcins.

Une autre méthode adaptée aux reproducteurs est de compter le nombre de gestations réussies avant disparition ou réforme d'une femelle. Là aussi, la lapine ne s'avère pas plus fragile que les autres: elle fait en moyenne 6 portées avant d'être réformée, soit un peu plus qu'une truie (5,5 portées) et nettement plus qu'une vache (4,5 vêlages).
Ainsi, pas plus que le jeune en croissance, la lapine n'est pas un animal fragile. C'est seulement un animal qui va vite.

    
  
Fin de cette conclusion sur la Biologie de Lapin
  
  
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