CUNICULTURE
Magazine Volume 31 (année 2004) pages 03 à 10

L'élevage du lapin en zone tropicale (partie 1/2)

François LEBAS
Secrétaire général de la World Rabbit Science Association

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 Cet article a été écrit début 2004 à l'occasion, d'une conférence organisée par le Secours Populaire Français sur le développement du lapin à Cuba. Compte tenu de sa portée générale, il nous a semblé pertinent de le reprendre sur le site de cuniculture.info à l'intention des différents internautes. 
   
 
L'origine du lapin et son adaptation au milieu Le lapin est un petit mammifère prolifique originaire de la péninsule ibérique et du sud de la France. Il n'a été domestiqué qu'au cours du Moyen Age. Le lapin domestique a donc des besoins et des comportements encore fortement influencés par ses origines. La domestication a en effet surtout conduit à une forte augmentation du poids des animaux: jusqu'à 6-7 kg alors que le lapin sauvage d'origine ne pesait que 1,3 à 1,7 kg adulte. Elle a aussi permis une accoutumance des lapins à vivre à proximité de l'homme, dans des cages ou des enclos.

Figure 1 : lapin de garenne

De ses origines géographiques, le lapin tient une adaptation au climat méditerranéen avec des étés chauds et secs et des hivers qui peuvent être froids. Une grande partie de cette adaptation consiste pour le lapin sauvage à passer les heures de fortes chaleurs dans son terrier, et à ne sortir pour se nourrir qu'à la fraîche, principalement à l'aurore et au crépuscule. Pour les périodes froides, il dispose d'une bonne fourrure et les lapereaux nouveaux nés beaucoup plus fragiles, sont installés par leur mère dans un terrier douillet où ils sont à l'abri du froid comme du chaud. Le lapin s'est aussi adapté à la variabilité des ressources fourragères en zone méditerranéenne : fortes au printemps, modestes en été puis de plus en plus rares à l'automne. Il a en particulier adapté sa reproduction qui commence tôt dès la sortie de l'hiver lorsque les jours s'allongent et que la végétation reprend. La reproduction se ralentit, puis s'arrête en été, dès que les jours diminuent et que les ressources fourragères se réduisent. Le lapin domestique a ainsi conservé de son proche ancêtre sauvage une forte sensibilité à la durée du jour qui régule sa reproduction si l'éleveur n'intervient pas.

 

Dissémination du lapin dans le monde et adaptationLes européens du sud (principalement les Français, Espagnols, Portugais et Italiens) ont diffusé l'élevage du lapin dans le monde entier, y compris dans les pays tropicaux. Dans le même temps, les anglo-saxons diffusaient les lapins de garenne comme gibier potentiel, avec beaucoup d'échecs et seulement quelques beaux "succès" techniques comme en Australie ou en Nouvelle Zélande. L'implantation du lapin sauvage a été une "réussite" là où le climat était proche de celui de la région d'origine du lapin mais surtout où la niche écologique était libre et où par conséquence il n'existait aucun prédateur adapté à un mammifère de 1,5 kg vivant une partie de son temps dans un terrier. Des tentatives ayant déjà été faites dans presque tous les pays du monde, on peut considérer comme pratiquement nuls les risques de voir pulluler des lapins domestiques qui se seraient échappés des élevages.
Il n'y a pas de risque de voir pulluler des lapins domestiques qui se seraient échappés de leur locaux d'élevage.La diffusion de l'élevage du lapin domestique en dehors de son berceau historique s'est peu ou pas heurtée au problème des prédateurs puisque les animaux sont élevés en cages. Par ailleurs, l'homme - éleveur s'est chargé d'apporter leur alimentation aux lapins. Il a ainsi rendu les lapins domestiques relativement indépendants des ressources fourragères instantanées en particulier grâce à la pratique du stockage des aliments, voire grâce à des importations d'aliment venant d'autres régions.
 Il reste, par contre, la dépendance des lapins par rapport aux facteurs climatiques directs: éclairement, température combinée à l'humidité relative. La diffusion de l'élevage du lapin domestique en dehors de l'Europe est un phénomène historiquement récent qui a au plus 2 ou 3 siècles et le plus souvent depuis moins de 100 ans. De ce fait, les lapins utilisés pour l'élevage dans les différents pays du monde, y compris dans la zone tropicale, n'ont pas eu le temps d'avoir une réelle adaptation au climat local. Le seul paramètre qui a réellement "bougé" est le format adulte qui, pour une race donnée, a été réduit de 20-25 % en milieu chaud. En effet cela accroît la surface corporelle relative susceptible d'évacuer les pertes nécessaires de chaleur liées au métabolisme et aide l'animal à lutter contre la chaleur. Du fait de différentes sensibilités, ce sont les éleveurs qui doivent adapter leurs pratiques mais aussi leurs exigences vis-à-vis de l'espèce, en fonction du climat local.
Les caractéristiques du climat tropical et facteurs limitants pour les lapinsLes pays situés globalement entre les 2 tropiques ou plus généralement entre les 30èmes parallèles nord et sud n'ont pas un seul mais une multitude de climats. Ils ont cependant en commun une très faible variation annuelle de la durée d'éclairement et une tendance à avoir des températures élevées toute l'année. Les principaux facteurs de variation de la température sont la distance depuis l'équateur, le relief environnant et la pondération que peuvent apporter l'altitude ou certains courants océaniques.

Les climats désertiques ou sub-désertiques ne conviennent pas au lapin

A grands traits, et compte tenu des températures que le lapin peut supporter, on est amené à considérer d'une part les pays où la température moyenne ne dépasse pas 25-28°C avec des maxima ne dépassant que rarement 34-35°C et d'autre part ceux où pendant une large part de l'année la température moyenne est supérieure à 28-30°C avec des températures maximales quotidiennes dépassant régulièrement 35-36°. Dans le premier groupe, et surtout si la température est pondérée par l'altitude comme dans certains pays du centre de l'Afrique ou au Mexique, l'élevage du lapin est possible, voire facile. Dans le second groupe, l'élevage du lapin est beaucoup plus difficile (nord du Sahel par exemple). Les réalisations du Centre de recherche d'Avikanagar dans le désert du Rajasthan aux Indes montrent qu'en enterrant les locaux d'élevage cela est possible, mais on est loin d'une pratique aisée, et les performances sont loin de l'optimum.

 

Impact de la température sur les performances des lapins Globalement les températures supérieures à 24-25°C réduisent la consommation alimentaire des lapins quelque soit leur âge ou leur situation physiologique. Un exemple en est donné sur la figure 2 où sont rapportés des résultats obtenus dans les conditions climatiques tempérées ou tropicales reproduites en salles climatisées.


Figure 2 : Consommation alimentaire et croissance des lapines élevées en chambre climatique soit à 23°C (Humidité Relative de 70%), soit à 30°C (HR de 80%) à partir de l'âge de 5 semaines, d'après Matheron et Poujardieu (1984). Observation entre 5 et 12 semaines d'âge


Figure 3 : Âge auquel les lapines ont atteint le poids de 2,4 kg et quantité d'aliment consommée depuis le sevrage pour des lapines élevées en chambre climatique soit à 23°C (Humidité Relative de 70%), soit à 30°C (HR de 80%) à partir de l'âge de 5 semaines, d'après Matheron et Poujardieu (1984).

A 30°C, la consommation est réduite d'un peu plus de 25% par rapport à celle constatée à la température de 23°C. La conséquence est une réduction de la vitesse de croissance d'environ 20% seulement. En effet, à température élevée, les dépenses de thermorégulation sont plus faibles et de ce fait l'efficacité alimentaire (gain de poids obtenu par unité d'aliment consommé) est meilleure en climat tropical, d'environ 10%.
Par contre, si l'on considère les conditions nécessaires pour obtenir des lapins d'un poids donné, on constate (figure 3) que la durée nécessaire pour atteindre, par exemple, le poids commercial de 2,4 kg est allongée de 30% (112 jours au lieu de 84) et, malgré la bonne efficacité alimentaire instantanée, la dépense alimentaire totale est accrue de 16% : 8,2 kg d'aliment consommés depuis le sevrage contre 7,1 kg pour les lapins élevés à 23°C.

Dans l'essai rapporté ci-dessus, les expérimentateurs ont fait ovuler les lapines lorsqu'elles ont eu atteint 16 semaines. Ils ont constaté que les lapines élevées au chaud ont produit environ deux ovules de moins par ovulation que celles élevées en conditions plus tempérées : 7,4 contre 9,2. Cette différence est essentiellement la conséquence du plus faible développement corporel à 16 semaines des lapines élevées à 30°C par rapport à celles élevées à 23°C : poids de 2,45 contre 2,93 kg. En effet quand on considère le nombre d'ovules par classe de poids, on constate d'une part qu'à poids identique le taux d'ovulation des lapines est similaire quelque soit la température d'élevage et d'autre part qu'il s'accroît avec le poids vif des femelles.

Les différents essais conduits par le monde ont montré qu'en adaptant finement la composition l'alimentation des lapins on peut atténuer l'effet néfaste de la chaleur sur la consommation et surtout sur la croissance, mais jamais cet effet ne peut pas être totalement "gommé". La conséquence est qu'à génotype initial identique, les lapins élevés en milieu chaud tendent à avoir un poids adulte plus faible que ceux élevés en milieu tempéré.

 

 
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