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Le lapin européen et les autres |
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Le lapin européen
(Oryctolagus cuniculus) fait partie de l'ordre des Lagomorphes
(littéralement : ceux qui ressemblent au lièvre). Cet
ordre se distingue de celui des Rongeurs en particulier par l'existence
d'une deuxième paire d'incisives à la mâchoire supérieure.
Cet ordre regroupe les lapins, les lièvres et les pikas (ou ochotones).
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Figure
3 : Genre Oryctolagus
(Oryctolagus cuniculus)
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Figure
4 : Genre Sylvilagus
(Sylvilagus floridanus)
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Figure
5 : Genre Lepus
(Lepus europaeus)
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Figure
6 : Genre Ochotona
(Ochotona princeps)
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Malgré
sa ressemblance morphologique, en particulier avec les lièvres
et les lapins américains (Sylvilagus sp.), le lapin européen
ne peut se croiser avec aucun des autres membres de cet ordre.
Ainsi, les
lapins abusivement appelés "hybrides" par les cuniculteurs
professionnels, ne sont en fait que des croisements entre des races
ou surtout des lignées spécialisées, appartenant
toutes à l'espèce Oryctolagus cuniculus .
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2 - Origine du lapin
et domestication
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Oryctolagus cuniculus
est le seul mammifère domestiqué dont l'origine paléontologique
se situe en Europe de l'Ouest. Les restes fossiles les plus anciens du
genre sont datés d'environ 6 millions d'années et ont été
retrouvés en Andalousie.
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Du
Pléistocène supérieur (- 100 000 ans) au Néolithique
(-2 500 ans) l'aire de répartition de l'espèce correspond
seulement à l'ensemble de la Péninsule Ibérique,
au sud de la France et semble-t-il vers la fin de la période,
à la partie ouest de l'Afrique du Nord. Le lapin représentait
par exemple l'essentiel de l'alimentation carnée des hommes
vivant 7 000 à 8 000 ans av. J. C. au sud de la
France entre les villes actuelles de Marseille et Nice.
Au plan historique, le lapin fut "découvert" en
Espagne vers 1 000 avant J.C. par les Phéniciens. Lorsque
ces grands navigateurs de la partie Est de la Méditerranée
abordèrent les côtes de la Péninsule Ibérique,
ils furent frappés par la pullulation de petits mammifères
fouisseurs que nous appelons aujourd'hui lapins. Comme ils ressemblaient
aux damans de leur pays qui vivent également en colonies
et creusent des terriers, les Phéniciens appelèrent
la contrée "le pays des damans", "I-Saphan-Im".
En effet, saphan (ou sephan) signifie daman en phénicien
(shafan en hébreu)
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Figure
7 : Extension naturelle du lapin à la fin de la période
néolithique
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Figure 8 : Groupe
de Daman des rochers
(Procavia capensis)
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Figure 9
: Groupe de lapins de garenne
(Oryctolagus cuniculus)
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Cette
dénomination latinisée plus tard, donnera le nom Hispania,
puis España. Ainsi, le nom même de l'Espagne est lié
à la présence historique des lapins sur son territoire.
Par exemple au tout début de notre ère, le poète
Catule (87 av. J.C. - 54 ap. J.C.) qualifiait l'Espagne de "cuniculeuse".
Au cours du Haut Empire Romain, le lapin a été l'un des
symboles de l'Espagne (avec l'olivier), comme en témoignent par
exemple les monnaies de l'époque. |
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Figure 10 :Monnaie
Romaine 2e siècle Face : l'empereur Hadrien (règne
de 134 à 138 a.p. JC)
et Pile l'Espagne assise, tenant une branche d'olivier, un
lapin à ses pieds
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2.1.
- Passage de l'animal sauvage élevé en enclos au lapin domestique
2.1.1
- Léporaria et Garenne ouvertes
Les premiers écrits mentionnant l'élevage du lapin sont
ceux de Varon (116-27 av. J.C.). Il préconise de garder les lapins
dans des leporaria, parcs murés dans lesquels on conservait aussi
des lièvres et autres gibiers afin d'en faciliter la chasse.
Cet élevage d'animaux sauvages est à l'origine des garennes
entretenues par exemple en France du Moyen Âge jusqu'à
la fin du 18ème siècle. Mais il ne s'agit cependant pas
encore de lapins domestiques.
Un des premiers signes d'un élevage des lapins de manière
plus intense ou plus contrôlée que dans les leporaria a
été trouvé lors de fouilles effectuées dans
un site gallo-romain du 1er siècle de notre ère, aux environs
de Montpellier dans le sud de la France. En effet il y a été
trouvé dans plusieurs "puits à cadavres" les
squelettes de très nombreux lapins au sein même de la cité.
Compte tenu de l'âge de ces lapins au moment de leur mort, il
semble bien que ce soient des lapins destinés à la consommation,
morts intra-muros, probablement regroupé près des maisons,
pour une phase d'engraissement. Il y a en effet très peu de cadavres
d'adultes mais beaucoup de juvéniles (1 à 6 mois). Il
semble par contre que cette tentative locale d'élevage ou plus
exactement d'engraissement contrôlé n'ait pas eu de suite
immédiate, puisque ce type d'accumulation de squelettes de lapins
n'a été retrouvé nulle part ailleurs.
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Figure
11 : Vue générale du site de fouilles
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Figure
12 : Vue de l'orifice d'un puit une fois les couches superficielles
dégagées
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Figure
13: Coupe d'un puit "à cadavres" contenant
le squelette de 102 lapins
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Figure
14: Exemple de squelette reconstitué à partir
des ossements retrouvés
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Travail de fouilles à Latte près
de Montpellier (France) : Gardeisen et Valenzuela-Lamas (2004)
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Par contre,
comme l'atteste la figurine gallo-romaine ci-contre d'un enfant
tenant un lapin dans ses bras (2e-3e siècle de notre ère),
si le lapin n'était pas encore domestiqué à
la fin de l'empire romain, cet animal figurait déjà
parmi les espèces apprivoisées, ce qui est souvent
la première étape de la domestication. |
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Figure
15 : Buste gallo-romain en terre cuite représentant un
enfant portant un lapin dans ses bras, découvert à
Arpajon sur Cère (Cantal - France) - date probable 3e siècle
de notre ère. |
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2.1.2.
- Les garennes sources de revenus, mais aussi de conflits
A la suite de la conquête de l'Espagne définitivement acquise
seulement au tout début de l'ère chrétienne (après
la défaite des Carthaginois en 202 av J.C. et la prise de possession
de leurs terres en particulier en Espagne, Rome a mis 200 ans à
"pacifier" le pays), les Romains ont adopté la coutume
des Ibères consistant à consommer des "laurices",
c'est à dire des lapereaux "tirés du ventre de la
mère" ou "enlevés à la mamelle".
A la fin du 6ème siècle de notre ère, l'évêque
Grégoire de Tours (538-594) mentionne le lapin dans son histoire
des Francs, en reprochant aux moines de consommer des laurices en temps
de Carême, ce mets étant autorisé parce que "d'origine
aquatique" (sic!). On peut penser avec Zeuner (1963) que le souhait
d'obtenir facilement des laurices aurait conduit les moines à
imaginer de maintenir les lapines en cage pour accéder plus aisément
aux nouveau-nés sans avoir à sacrifier les mères.
Effectivement l'élevage des lapins en claustration devient une
quasi-exclusivité des couvents à cette époque partagée
seulement avec la noblesse. On trouve en effet des écrits attestant
d'échanges de couples de lapins entre couvents au milieu du 12ème
siècle ou du don d'une garenne par un seigneur à un couvent.
Par exemple le Comte de Vougrin donna en 1140 un "défens"
(une garenne) à l'abbaye de Saint Cybard d'Angoulême "afin
que les moines aient un défens de tous animaux, c'est-à-dire
lièvres, lapins, faisans, perdrix, en seigneurie et propriété".
Les termes de ce legs montrent aussi qu'à cette époque
on est encore proche des leporaria romaines avec un mélange d'animaux
de petite taille. De leur côté ces écrits démontrent
que le lapin faisait bien partie des petits gibiers classiquement consommés
à l'époque, du moins par la classe dirigeante, et n'était
pas consommé seulement comme "laurices".
Un siècle
plus tard, les écrits ne mentionnent plus que les lapins comme
animaux élevés dans les garennes. Ces territoires sont
utilisés pour la chasse mais surtout pour la production de lapins.
Ainsi en 1245, les agents du comte de Poitiers ont-il vendu "cent
soixante "couples" [paires] de lapins à Tonnay-Boutonne,
pour treize livres, deux cents au Bourdet, pour seize livres, cent soixante
à Marans, pour quatorze livres". Il est également
précisé que les recettes provenant de ces garennes dépassent
de beaucoup les frais de garde. En effet les garennes de l'époque
sont essentiellement des garennes ouvertes, dont les limites sont simplement
matérialisées par des bornes, mais les lapins y sont alimentés,
au moins pendant une partie de l'hiver.
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Figure
16 : Chasse aux lapins avec filets tendus et chiens
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Figure
17 : Chasse aux lapins avec un furet (muselé) et
des bourses - remarquer la présence de lapins blancs
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Figure
18 : Chasse aux lapins avec un furet (muni d'un grelot)
et des bourses
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Figure
19 : La Chasse au lapin avec un arc, est pratiquée
surtout comme divertissement par les Dames la noblesse.
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D'après
le "Livre de chasse"
de Gaston Phébus Comte de Foix (1389)
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Tapisserie
tissée à Tournai (Flandres) vers 1460
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Extrait
des "Taymouth Hours" réalisées à
Londres vers 1330
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La pullulation des
lapins pendant la belle saison doit impérativement y être
limitée par les personnes chargées de la gestion de la
garenne, sinon les lapins provoquent trop de dégâts aux
cultures environnantes. Ces captures de régulation sont effectuées
avec des furets et des filets, car les animaux étant capturés
vivants, il est possible de relâcher les femelles et de ne laisser
qu'un mâle pour 10 à 20 femelles. A l'inverse la chasse
à l'arc, pratiquée parfois par les dames de la noblesse,
avait l'inconvénient de tuer les lapins sans distinction de sexe
et elle était en outre plus aléatoire. Pour réduire
l'incidence des dégâts au voisinage, la limite de la garenne
est d'ailleurs généralement fixée (placement de
bornes) à un jet de flèche des cultures les plus proches
(150 à 200 m environ). Par exemple, vers 1260, la garenne du
comte de Poitiers à Saintes n'était pas bornée
; le sénéchal interdit alors au prieur de Saint-Vivien
de mettre en culture ses terres vagues qui étaient contiguës
à cette garenne avant que le châtelain de Saintes [le comte
de Poitiers] ait fait placer des bornes. Cette précaution visait
à limiter par avance les conflits qui n'auraient pas manqué
pas de naître des dégâts occasionnés par les
lapins sortant de la garenne.
Durant toute la
période féodale, le droit de garenne est un droit exclusif
de chasse réservé aux nobles Par contre, la chasse reste
libre en dehors des garennes pour les "non nobles". Par son
ordonnance du 10 janvier 1396, Charles VI roi de France réserve
l'exercice de la chasse au seul profit de la noblesse dans les garennes
et au dehors. Ceci devint source de rancurs et de conflits innombrables
qui ne cessèrent que 400 ans plus tard avec l'abolition des privilèges
par l'Assemblée nationale la nuit du 4 août 1789. Les manants
(paysans) ne pouvaient donc plus chasser librement sauf dérogation
particulière. La nature des sanctions, prononcées par
les seigneurs, variait selon les coutumes et les lieux. Elles pouvaient
être modestes ou très cruelles (par exemple condamnation
aux galères).
Toutefois, les conflits engendrés par les dégâts
occasionnés par les lapins sortis des garennes (et qu'on ne pouvait
plus chasser) ont parfois été tels que certains seigneurs
ont donné la gestion totale de la garenne aux habitants du village
(y compris le droit de chasse) contre le paiement d'une redevance annuelle.
C'est le cas par exemple de Hugues de Lusignan pour sa garenne de Charroux,
qu'il concède aux habitants et à l'abbé du lieu,
contre le paiement d'une rente annuelle de vingt livres. Pour éviter
ces conflits, d'autres seigneurs prennent des mesures encore plus radicales
Par exemple, Raoul de Mauléon prend le parti de détruire
sa garenne de Châtelaillon, qu'il "transporte aux habitans
d'Angoulins, pour estre essartée et deffaite, à cause
du desgat qui en estoit faict aux fruicts et domaines qui en estoient
à l'aproche" [qu'il cède aux habitants d'Angoulin
afin qu'elle soit défrichée et détruite, à
cause des dégâts qui étaient faits aux fruits et
aux domaines qui en étaient proches]
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Suite
de l'Historique de la Domestication et de l'Elevage
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